01/10/2014
Pour l’homme qui dirige le cabinet de conseil McKinsey & Company depuis 2009, toute entreprise se doit aujourd’hui de réviser sa stratégie. Si elle vit les yeux rivés sur la ligne de rentabilité à court terme, oubliant de s’inscrire dans la communauté, elle n’a pas d’avenir.
Le capitalisme n'est pas un système économique parfait, mais il s'est avéré être un moteur extraordinaire de prospérité et le meilleur moyen pour permettre à des centaines de millions de personnes de parvenir à un meilleur niveau de vie.
Aujourd'hui, cependant, le capitalisme est soumis à de fortes tensions, et ce, en grande partie par un excès de pensée obtuse focalisée sur le court terme. Je rencontre des chefs d'entreprise tous les jours ; je suis frappé par les pressions incessantes auxquelles sont confrontés les cadres des sociétés, qu'elles soient publiques ou privées. À la demande de leurs actionnaires, et parfois de leur conseil d'administration, ils se doivent de fournir toujours plus de résultats à court terme, et souvent aux dépens des bénéfices pour l'entreprise à long terme.
Ces contraintes sont en augmentation. En 2013, une étude McKinsey Quarterly a révélé que 63 % des administrateurs et des dirigeants estimaient que la pression pour produire des résultats à court terme avait augmenté au cours des cinq dernières années. En outre, tandis que 73 % estimaient que, pour mener à bien leur exercice, ils devaient planifier à trois ans ou plus leur stratégie de création, près de la moitié avouaient qu'ils étaient contraints de réfléchir dans une perspective inférieure à trois ans.
À long terme, cette approche se fait au détriment des autres intérêts des parties prenantes et met à mal la création de valeur. Jusqu'à 90 % de la valeur d'une entreprise dépendent de sa trésorerie à trois ans et plus. Des entreprises telles que P & G, Walmart et Coca-Cola ont puisé durant sept à onze ans dans leurs réserves pour financer leur seule entrée en Chine. Des sociétés comme Intel et Apple ont pris des décisions à long terme pour racheter des sociétés de microprocesseurs et d'acteurs de la musique — autant de décisions qui aujourd'hui auraient du mal à franchir un conseil d'administration (l'année où l'iPod a été commercialisé, le prix de l'action Apple a chuté de 25 %).
Pour que le capitalisme continue de prospérer, il est urgent pour les entreprises de revenir à l'approche à long terme telle qu'elle était promue par le passé. Les sociétés devraient investir au moins à un horizon de cinq ans et idéalement fixer des objectifs et un plan de stratégie sur dix à vingt ans. Les fonds de gestion devraient agir et évaluer leurs investissements sur un laps de temps similaire.
Parallèlement, il est impératif que l'on cesse de subir la vision étroite des actionnaires pour s'ouvrir à une communauté plus large de parties prenantes. Lors des quatre dernières décennies, le point de vue conventionnel, formulé par Milton Friedman, était : « Le rôle du business, c'est le business », et il n'y avait qu'une responsabilité sociale d'entreprise, celle d'utiliser ses ressources et mener ses activités dans le seul but d'accroître ses bénéfices. En économie, cette vision est dépassée.
Je crois qu'il faut se rappeler que tout business se doit d'être utile, quelle que soit la communauté dans laquelle il s'inscrit. Le business ne pourra vraiment continuer à prospérer qu'à la seule condition que ses opérations bénéficient à la société tout entière. Ce n'est pas seulement une question de responsabilité sociale des entreprises ; c'est primordial parce que c'est positif pour la rentabilité des entreprises. En raison de la réduction des ressources naturelles et de l'imbrication des chaînes d'approvisionnement dans le monde entier, la prospérité des grandes entreprises est inextricablement liée à celle de leur communauté : 75 % des cadres et des investisseurs pensent désormais que les initiatives environnementales et sociales créent de la valeur pour les entreprises à long terme.
L'expérience de l'Equity Bank du Kenya en est un parfait exemple. Cette banque s'est développée en ayant pour précepte d'accompagner et de soutenir les plus démunis. Depuis plus de dix ans, elle met en place du microcrédit, sert ses clients les plus éloignés par minibus, ces derniers étant reliés au siège par satellite. Elle accorde des souplesses de remboursement. Une anecdote célèbre veut qu'elle ait même accepté d'être payée en lait. Résultat : non seulement la banque a permis à l'ensemble de sa communauté de prospérer, mais depuis 2000 son bénéfice avant impôt a augmenté de 65 % en moyenne par an et elle détient près de la moitié des comptes bancaires du Kenya.
Le système capitaliste est aujourd'hui menacé par les inégalités qu'il génère et le comportement parfois téméraire qu'il autorise.
Cependant, malgré ses lacunes, je crois que le capitalisme perdurera. Encore une fois, il doit être considéré comme ce qu'il est, imparfait, mais il demeure un puissant moteur de prospérité. L'entreprise a besoin d'élargir son rôle et sa perspective ; elle se doit d'être utile pour la société et d'avoir une vision à plus long terme. Ce n'est qu'à cette seule condition que le capitalisme pourra regagner la confiance et réaliser son potentiel immense.
Source La Tribune